dimanche 5 décembre 2010

L'industrie de la charité

Je tiens cette formule d'une intervenante à une conférence que j'ai vue à la télé à propos de la crise des finances publiques au Québec et du désengagement de l'État dans le financement des universités et du système de santé. Celle-ci notait que depuis trente ans on avait vu fleurir cette «industrie». J'ai pour ma part constaté son importance, ici.

Ça commence par les pubs dans le métro et à la télé : elles sont nombreuses les maladies inconnues ayant droit à leur association et à leurs publicités. Il y a eu le mois d'octobre, aussi, consacré à la lutte contre le cancer du sein. On a vu apparaître des rubans roses sur les stations d'essence, sur des paquets de café, de nombreux événements ont été organisés pour lever des fonds; impossible de le manquer. Puis novembre, le mois de la moustache («Movember») contre le cancer de la prostate. C'était aussi le mois de la campagne Centraide du Grand Montréal, une association de lutte contre la pauvreté et l'isolement. Plein d'activités étaient organisées à Poly. Objectif affiché 75 000$ (avec un gros thermomètre montrant l'évolution au fil du mois), montant récolté 96 000$. Sachant qu'il y a environ 7000 personnes à Poly, ça fait à peu près 14$ par personne, quand même! Pour vous rendre compte de l'ampleur de la campagne, voir la page des activités ici.

Alors vous allez me dire «c'est super ils sont généreux dans ce pays». Oui mais voilà, vous ne trouvez pas qu'il y a comme un problème de cohérence quand on organise une campagne de solidarité dans une école qui parallèlement augmente beaucoup ses frais de scolarité en fonctionnant sur le principe «utilisateur-payeur»?

En cherchant «industrie de la charité» dans Google, j'ai trouvé pas mal d'avis sur la question, québécois en général. J'en ai retenu la formulation suivante : pourquoi l'industrie de la charité et pas la justice sociale? C'est à l'État normalement de s'occuper de la pauvreté, non? «Dans des sociétés justes et équitables, tout le monde aurait de quoi se loger et se nourrir sans devoir dépendre de la charité. Les organismes communautaires se consacreraient à fournir un petit supplément, non l’essentiel, comme c’est le cas.» (lu ici) «La vraie démocratie, concrètement, c’est payer ses impôts loyalement et laisser l’État, qui est doté de tous les mécanismes nécessaires, administrer ces argents pour le plus grand bien commun.» (lu ici) Voir encore le dernier commentaire sur cette page.

Il faut voir néanmoins que cet aspect de la société n'est qu'un exemple du caractère indubitablement américain du Canada et même du Québec. Il semble en effet que la société américaine préfère la charité choisie à la mise en commun des richesses et la gestion de celles-ci par l'État pour les réattribuer selon ce qui lui semble rationnel. Il y a là-derrière le principe fondamental d'adhésion : quand le contrat social est, chez nous, tacite et englobe tout, il ne le serait pas aux États-Unis, où l'idée d'approbation, de consentement, est essentielle. «Je veux bien donner de mon argent aux autres, mais je choisis à qui et pour quoi je le donne.» Ce point de vue me vient d'une de mes lectures récentes : La désobéissance civile de Hannah Arendt dans Du mensonge à la violence (autour de la page 89 de l'édition de poche).

C'est un fait de la société américaine que je ne suis pas en position de juger. Là où ça pose problème, c'est que le Québec ne semble pas avoir une telle tradition.

3 commentaires:

  1. Vaste débat, et il est d'actualité en France.
    Le téléthon suscite la polémique depuis plus d'un an.
    Selon certains il aspirerait une part trop grande de la charité choisie des français.

    L'initiative est apparue en 87 et l'idée d'origine américaine, elle a été nécessaire car justement l'état n'investissait pas dans ce domaine de recherches.
    Et dans ce cas les agents de l'état avaient tort, le champ des recherches ouvert a été bien plus performant qu'envisagé initialement et permet aux chercheurs français de rester dans le peloton de têtes de la génétique.

    Autre exemple: les restos du coeur.

    Un équilibre entre charité choisie et intervention de l'état me paraît sensé.
    D'autant plus qu'une partie des dons réduit l'impôt.

    La charité dans les seules mains de l'état serait totalement déshumanisée et nous pousserait à toujours plus d'individualisme.
    Mais attention à ne pas trop solliciter le public, pour ma part je me réfugie très vite derrière le « A l'état de gérer avec mes impôts»

    RépondreSupprimer
  2. Comme toujours, modération et équilibre sont à privilégier.

    RépondreSupprimer
  3. Effectivement le débat est vaste et je vais alimenter un peu la polémique. Effectivement la logique voudrait que les impôts payer par tous, et là j'insiste tous, même de façon minime, puissent pourvoir aux besoins pour la recherche et la charité... mais là ça ne vous rappelle pas quelques régime dictatoriaux bien connu ?
    Bien sûr les dons choisis permettent de pallier aux manques de l'Etat mais si je prends l'exemple du Téléthon, en dehors de toute controverse, l'argent récolté a permis et permet encore d'avoir une liberté dans la recherche. L'Etat et donc nos impôts n'investirait pas forcément dans la recherche d'une maladie orpheline de quelques milliers de cas.
    Pour les restos du coeur, bien que donnant mon obole, j'ai tendance à croire que nous pratiquons la même politique que les grandes interventions humanitaires des pays en voie de développement : on traite les symptômes mais pas la source de la maladie.
    Et pour finir je reviens sur ton article : prévention du cancer du sein ou de la prostate : OUI, OUI, OUI faisons de la prévention. Je suis dans une tranche d'âge où quelques unes de mes amies sont traitées ou sont en rémission après la maladie et grâce à la prévention et au dépistage elles ont pu être prise en charge au début de la maladie et pour deux d'entre elles elle sont considérées comme guéries et pour la troisième les espoirs de guérison sont non négligeables .
    Bien sûr avec les nouveaux moyens de communication la sensation est à l'industrie de la charité mais la charité date-t'elle du XXIème siècle ?

    RépondreSupprimer